Lorsque Jean-noël Mabiala m’a parlé de son projet – une école de l’interculturalité et du rapport à l’autre – et m’a demandé si je voulais m’y impliquer, je n’ai pas hésité une seconde. Je lui ai répondu avec enthousiasme. Ce centre de formation m’est apparu comme une urgente nécessité pour contribuer à élaborer et à renforcer une société humaine, ouverte, apaisée, pacifiée ; pour terrasser les vieux démons du rejet et de l’exclusion qui semblent gagner nos sociétés, agitées par le fantasme de la menace identitaire, que l’Autre, dans son « inquiétante étrangeté » ferait peser, entraînant les mouvements de repli sur soi, identitaires et communautaristes, où s’imaginent des identités essentialistes, figées et inaltérables.
Vivre ensemble en bonne intelligence ou en bonne interculturalité, c’est poser le problème de l’identité et de son élaboration, dans l’interaction entre soi et les autres, entre soi et le monde. Ce n’est pas un repli, c’est au contraire une ouverture permanente. L’autre m’altère et me désaltère. Il me constitue et me permet de me différencier, pour être moi. L’identité se comprend comme une culture subjective, élaborée, composée avec la configuration de tous les éléments qui nous constituent en créant notre singularité. Elle permet de donner du sens à ce que nous sommes en train de vivre et d’élaborer notre manière particulière de faire face aux différentes situations. C’est un parapet pour nous empêcher de tomber dans le vide, un pare être pour nous permettre d’exister en tant que sujet à nul autre pareil, tout en gardant cette dimension universelle, qui nous rattache au groupe, à la collectivité, à l’humain.
« Je suis ce que je fais de ce que les autres ont fait de moi », disait justement, une fois n'est pas coutume, Jean-Paul Sartre. L’identité subjective, personnelle, ne s’efface pas devant l’identité collective, qu’elle soit professionnelle, sociale, culturelle ou cultuelle. Elle s’en nourrit. C’est dire qu’il y a autant de façons différentes de vivre son appartenance à un groupe.
La question de l’identité est vitale, puisqu’elle signe mon existence en tant qu’être unique, quelle que soit la société, quel que soit le groupe auquel j’appartiens. Il s’agit alors d’être reconnu et de se faire une place dans la société ou dans le groupe. Si rien ne me différencie des autres, je n’existe pas, et personne ne peut me reconnaître.
La question « qui suis-je ? » m’oblige à rencontrer l’Autre et à élucider ce paradoxe : j’ai besoin de lui dans sa différence pour prendre conscience de mon existence (s’il n’est pas moi, s’il est différent, alors seulement j’existe), mais en même temps je me méfie de cette différence (comment peut-on être différent de moi ?) et éprouve le besoin, soit de le rejeter, soit de le rendre semblable à moi.
L’ambivalence ainsi exposée montre comment l’altérité renvoie l’homme à sa faille, à son manque, à son incomplétude, à sa non-maîtrise, à son non-savoir, à sa vulnérabilité, à cette blessure narcissique liée à sa finitude, c’est-à-dire à une toute-puissance perdue et à une quête identitaire qui oscille entre le désir d’être tout et la peur de n’être rien. Or, nul n’est tout et nul n’est rien.
L’identité se construit sur un principe d’altérité, qui met en rapport, dans des jeux subtils d’attirance et de rejet, « le même » et « le différent », sur fond de désir de reconnaissance d’une singularité du sujet, mais aussi d’une peur : un écart trop grand avec les autres ferait courir le risque de l’exclusion. Et c’est bien dans ce champ, identité/altérité que se comprend l’interculturalité et l’enjeu défini dans ce beau projet : « Vivre-ensemble et travailler en bonne interculturalité ».
Gérard Netter